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Carrefour d'idées

Publié le novembre 13th, 2010 | par Carrefour des Chrétiens Inclusifs

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Les parents homosexuels, des parents comme les autres ?

Voici le texte de l’intervention de Stéphane Lavignotte, pasteur de La Maison verte (Mission populaire évangélique) aux Assises du christianisme organisé par le journal La Vie le 25 septembre derniersur le thème « Les parents homosexuels, des parents comme les autres ? »

Une famille ressemble-t-elle à une autre ? L’anthropologie est en cela une source d’amusement sans fin. Par exemple, chez les Han du Yunnan, en Chine, les enfants sont éduqués par leur mère et leur oncle, et peuvent ignorer jusqu’au nom de leur père. Chez les Samo du Burkina Faso, le premier enfant doit naître d’une union préconjugale avant de recevoir comme père légitime le mari de sa mère. Dans beaucoup de sociétés paysannes, en Afrique, en Asie, en Océanie, l’adoption n’est pas un palliatif ni un problème d’infécondité, c’est une pratique courante qui relève du transfert volontaire entre parents proches. On trouve aussi un très grand nombre d’exemples, après chaque guerre, d’enfants uniquement élevés par des femmes.

Cette diversité dans l’espace que nous montre l’anthropologie existe aussi dans le temps. Il suffit de se pencher sur la Bible. On y trouve des parents seuls élevant leurs enfants ; un homme polygame, Isaac, dont les deux femmes font appel à leurs servantes comme mères porteuses et donatrices d’ovules pour multiplier les enfants dans une concurrence tout à fait étonnante ; des familles à trois comme Ruth, Noémie et Booz ; etc. Et on ne peut pas dire non plus que la famille de Jésus soit très classique. Vous connaissez l’histoire.
La théologienne Virginia Ramey Mollenkott avait recensé dans la Bible quarante configurations familiales différentes dont une seulement correspondait à la famille nucléaire hétérosexuelle standard, proposée par saint Paul comme famille modèle… il ne donnait pas d’exemple concret, mais cela devait exister !
 
En France, aujourd’hui, les familles se sont également beaucoup diversifiées. Les familles recomposées représentent aujourd’hui une famille sur dix et les familles monoparentales plus de deux sur dix, soit trois familles sur dix hors du modèle dit classique. De même, les familles homoparentales ne sont pas homogènes. Les chiffres sont très divers sur le nombre d’enfants vivant dans ces familles : entre 24 000 et 250 000 enfants suivant des méthodes très diverses de comptage. Il y a le cas où une personne a des enfants dans une famille hétéro puis, dans une seconde vie, elle se met en famille avec quelqu’un du même sexe, et les enfants, comme dans n’importe quelle famille recomposée, viennent vivre dans le nouveau foyer. Il y a le cas où un couple d’hommes et un couple de femmes se mettent d’accord pour élever ensemble un enfant né d’une des deux femmes et d’un des deux hommes, ce qu’on appelle une coparentalité. Il y a des naissances avec PMA, des naissances liées à un donneur de sperme. Il y a les adoptions, qui ne sont pas autorisées pour les couples homosexuels, mais pour des célibataires qui, ensuite, peuvent se mettre en couple avec une personne du même sexe. Etc.
Donc le concept de famille « comme les autres » est bancal : aucune famille ne ressemble à une autre. Cela ne veut pas dire que l’on pourrait inventer des familles comme on invente une recette de cuisine. Toutes ces diversités sont des constructions dans le temps, dans l’histoire, bâties sur des modèles, un imaginaire social, un ordre symbolique, eux-mêmes toujours en évolution.
Deuxième interrogation sur le concept de famille comme les autres : grandir avec des parents comme les autres, est-ce une garantie de quoi que ce soit ? Pour employer un euphémisme, ce n’est pas principalement dans les familles recomposées, monoparentales ou homoparentales que l’on trouve le plus de violences familiales, d’incestes, etc. Nous devons tous à nos parents des névroses que nous allons nous-mêmes transmettre à nos enfants, même en ayant, pour la plupart, grandi dans des familles classiques, hétérosexuelles.
Je me demande donc si pour s’interroger sur les familles homoparentales et les familles en général, le concept de « familles comme les autres » ou de « parents comme les autres » est le bon concept. Je lui préfèrerais un concept détourné du psychologue Winnicott. Il parlait de mère « suffisamment bonne », je parlerai donc de famille suffisamment bonne. L’idée de mère suffisamment bonne est l’idée que la mère ne doit pas l’être trop. Si les parents comblent tous les besoins avant qu’ils ne se présentent, s’ils sont parfaits, cela ne laissera pas à l’enfant l’occasion d’éprouver du désir. L’enfant doit apprendre à être soi, tout seul ou en présence de l’autre.
Les familles homoparentales sont-elles suffisamment bonnes ? Contrairement à ce que l’on dit souvent, des centaines d’études ont été consacrées depuis le début des années 1970 aux États-Unis, au Canada, en Hollande, en Belgique, en France, aux familles homoparentales, à leurs parents et à leurs enfants. Il y a un panel de quarante, quarante-cinq études que les spécialistes retiennent particulièrement. Eh bien leur lecture est profondément monotone ! Une étude montrera, certes, que les enfants de familles homoparentales sont un tout petit peu plus timides mais qu’ils ont plus de capacité d’adaptabilité. Une autre dira que si lors de l’adolescence, le sentiment d’être des enfants différents a pu les gêner, à l’âge adulte, ils en sont plutôt fiers. Une étude compare des enfants de familles hétéros et des enfants de familles homos : les enfants des hétéros font plus souvent pipi au lit que les autres ! Toutes ces études aboutissent en fait à la même conclusion : les enfants des familles homos ne vont ni mieux, ni moins bien que ceux des familles hétéros.
 
Les familles homos sont suffisamment bonnes puisque leurs enfants s’en sortent aussi bien ou aussi mal que les autres. Pourtant, elles ne sont pas parfaites aux yeux de certains psychanalystes ou anthropologues puisque les deux parents sont de même sexe et n’assureraient donc pas la fameuse différence des sexes. Mais alors pourquoi cela marcherait-il quand même ? Parce qu’à défaut d’être parfaites – aucune famille n’est parfaite et ne doit pas l’être selon Winicott –, elles assurent le nécessaire, le suffisant. Quel est-il ? Voilà ce que répondent les sociologues qui étudient la famille. La stabilité du couple parental : la stabilité dans le temps entre l’enfant et l’ensemble des parents qui composent son monde. La capacité affective des parents : que les parents soient capables d’attention et d’affection. Un couple homo est-il donc moins capable de cela qu’un couple hétéro ? Un couple hétéro est-il automatiquement capable de cela parce que hétéro ?
Cependant, il y a une dimension où les familles homos ne sont pas comme les autres : leur encadrement juridique est aujourd’hui insuffisant. Si la stabilité parentale est un élément important pour l’enfant, le mariage soutiendrait mieux la stabilité des couples que le fragile Pacs. À l’époque du débat sur le Pacs, par exemple, Olivier Abel, professeur à la Faculté de théologie protestante de Paris, défendait le mariage plutôt que le Pacs en disant que ce dernier était trop fragile, qu’il fallait quelque chose qui soutienne mieux la conjugalité dans cette période où les familles ont besoin de cette aide pour pouvoir tenir. Si la stabilité des relations dans le temps et l’attention sont importantes, le fait que le beau-parent, dans les familles homoparentales ou recomposées, la compagne ou le compagnon du parent biologique, le coparent ou le parent social ait une insuffisance de droits et de devoirs fragilise de même le cadre. Les beaux-parents ne peuvent pas prendre de décision en cas d’urgence médicale et d’une manière générale. En cas de séparation, l’enfant n’aura pas la garantie de continuer à voir celui ou celle qui l’a élevé pendant de longues années. Toujours en cas de séparation, il n’y a aucune obligation pour le coparent, au niveau financier ou éducatif, de continuer à soutenir l’enfant et l’autre parent, et rien non plus au point de vue de l’héritage.
De manière générale, et c’est valable aussi pour les beaux-parents dans les familles recomposées hétérosexuelles, le fait que le parent social n’ait pas les mêmes devoirs et qu’il n’y ait pas la même sécurisation des liens entre lui et l’enfant ne va pas dans le sens de la qualité durable du cadre des enfants. Cette sécurisation juridique pourrait aussi s’étayer du côté de l’accompagnement liturgique : il pourrait accompagner, encadrer, soutenir ces familles en prenant par exemple la forme de célébrations de bénédiction pour les couples homos à l’occasion des Pacs, de l’arrivée d’un enfant, de tous les évènements importants de la vie de la famille. On aura bientôt le débat sur le mariage des couples de même sexe, il faudra bien que les églises se positionnent. Cette sécurisation juridique, liturgique et sociale irait dans le sens plus général d’un renforcement d’éléments qui sont structurants pour les familles et plus globalement pour la société, et d’éléments qui sont aujourd’hui mis à mal par l’insécurité du capitalisme libéral et par la standardisation marchande.
Il y a un principe qui traverse toute la Bible : le principe d’alliance. Une alliance de Dieu avec sa création, une alliance conflictuelle avec l’humanité que Dieu rompt et renoue, une alliance qui se retrouve finalement dans toutes les alliances que passent les humains et qu’il faut favoriser pour faire humanité et société.
Deuxième principe : celui de l’altérité, dont la différence des sexes – je préfèrerais parler de « voisinage des sexes », terme utilisé par la psychanalyste Sabine Prokhoris – est une éminente expression, mais pas la seule.
Troisième principe : la recherche de la justice. Dans l’extrême diversité des familles de l’Ancien Testament, la demande de justice de la part des enfants et des femmes est très forte, et Dieu est souvent celui qui y répond en contrecarrant la volonté du mâle dominant. Dans le Nouveau Testament, il y a l’insistance de Jésus sur le fait que sa famille n’est pas sa famille biologique mais ceux qui mettent en pratique sa parole de justice globale.
L’alliance se fait toujours avec le risque de la fusion. À l’inverse, la justice et l’altérité se vivent toujours au risque de l’éloignement. La recherche de l’un et des autres, la construction d’un équilibre entre ces dimensions, est finalement la recherche de ce que Paul Ricoeur appelle la juste distance avec l’autre, cet intervalle entre les humains qui fait à la fois la pluralité et le lien dans la société.
Altérité, alliance, justice sont des cadeaux de Dieu, donc en ce sens, pour répondre au thème de ces assises, oui, nous avons besoin de Dieu. Ces cadeaux nous font considérer l’autre comme un prochain et l’aimer comme nous-même. C’est cette référence qui doit nous guider au-delà de tous les a-priori, de toutes les modes idéologiques du monde et de tous les conformismes.


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