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Publié le juillet 28th, 2015 | par Carrefour des Chrétiens Inclusifs

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Noli me tangere nondum

La décision de l’EPUDF de bénir les couples de même sexe, ainsi qu’en Belgique celle de l’ EPUB de consacrer des pasteur-e-s homosexuel-le-s ont donné lieux à des réceptions différentes et opposées. Le CCI a saluées ces deux décisions. Elles témoignent d’une volonté d’ouverture, d’une capacité à reconnaître dans l’expérience de vie des personnes homosexuelles autre  chose qu’un lieu de repentance ou de guérison. Les églises protestantes historiques sont donc capables d’avancer et la situation des leurs fidèles homosexuel-le-s est enviable en comparaison à celle faite aux fidèles d’autres églises. La question homosexuelle n’a donc plus raison d’être dans ces églises ?

Le texte que nous recevons et publions, oeuvre d’un membre du CCI, ouvre ce débat. Il porte un  regard positif sur les décisions prises et en même temps il souligne les difficultés toujours présentes dans les églises protestantes historiques, la première desquelles est leurs difficulté  a reconnaître dans l’expérience homosexuelle, une valeur et non seulement un problème à résoudre. 
 
Cet article ouvre un débat et donne le là d’une réflexion, à laquelle nous espérons que d’autres voudront s’associer.
 
 
 
 
 

Noli me tangere nondum

Un premier commentaire sur la décision de l’EPUdF du 17 mai

Et sur la recommandation de l’EPUB du 17 juin 2015

Le 17 mai dernier, le synode de l’Église Protestante Unie de France (EPUdF) adoptait une décision en faveur de la bénédiction des couples de même sexe. Moins d’un mois plus tard, le 13 juin, l’Église Protestante Unie de Belgique (EPUB) adoptait pour sa part une recommandation en faveur de la consécration des pasteur-e-s homosexuel-le-s. Ces deux textes, votés à de confortables majorités (environ 95% pour celui de l’EPUdF et 75% pour celui de l’EPUB), ont été relayés dans les presses nationales respectives et ont fait l’objet de nombreux commentaires, institutionnels ou particuliers, parfois saluant le choix courageux de ces deux avancées, parfois dénonçant leur hérésie dans leur volonté de se conformer au monde et non à une lecture plus fondamentale de la Bible.
S’il n’est pas nécessaire ici de revenir sur le fond des argumentations en faveur ou contre ces textes, il faut néanmoins saluer, dans leurs formulations, ces deux positions qui constituent une avancée majeure pour les chrétien-ne-s homosexuel-le-s et les homosexuel-le-s chrétien-ne-s qui peuvent ainsi faire valoir une reconnaissance et une égalité de considération au sein de ces deux Églises protestantes historiques et nationales. Dans un monde chrétien où l’homophobie est bien plus souvent la règle que l’exception, ces textes sont arrivés comme une véritable bouffée d’air frais pour ces personnes qui se considèrent et/ou sont considérées comme en porte-à-faux, entre une foi « nécessairement intransigeante » sur les questions sexuelles et une orientation sexuelle « qui ne pourrait être libre » qu’en l’absence de Dieu.
Oui, il y a vraiment lieu de se réjouir, et ce commentaire souhaite commencer par-là, en rappelant tout le respect dû envers les différents acteur-trice-s, quelles que soient leurs convictions, de ces débats qui furent souvent difficiles, parfois violents, mais toujours riches.
Ce commentaire veut s’attacher non pas tant au résultat en lui-même, mais au processus dans lequel il s’est inscrit ainsi qu’aux conséquences de ces débats sur ces deux Églises.
Des processus décisionnels similaires
Pour commencer, il convient de constater que ces deux textes ne sont pas seulement similaires sur le fond, ils le sont aussi sur la forme. Dans ces deux Églises, un groupe de travail a été constitué afin de réfléchir à la question qui lui était posée. Celui-ci a élaboré un rapport contenant un projet de texte pour l’institution synodale qui fut transmis, pour discussion, d’abord aux paroisses, avant de remonter aux Assemblée régionales en France et aux Assemblée de district en Belgique. En dernier lieu, les deux Synodes nationaux furent amenés à se prononcer sur ces textes. On reconnait ici la spécificité du monde protestant qui accorde une grande importance aux procédures présbytéro-synodales: Ce n’est pas seulement une institution nationale qui prend la décision, mais l’ensemble des communautés paroissiales et régionales qui participent à la discussion, assurant au débat un maximum de légitimité et de représentativité des tendances convictionnelles.
Ce cheminement fut plus long en France (deux ans) qu’en Belgique (un peu plus de six mois), de même que le Synodale français s’est réuni sur quatre jours là où l’Assemblée synodale belge tint seulement une demi-journée de débat. Ceci permet de dire, au vu de la différence de résultats entre les deux Synodes, que la durée d’un débat a aussi une influence sur sa réussite. Les commentaires de participants au Synode français s’accordèrent d’ailleurs sur le fait qu’à l’issue des discussions il n’y eut pas unanimité, mais convergence sur une question qui reste encore clivante pour de nombreuses personnes. Le but recherché, dans les deux cas, n’était pas d’instaurer une décision obligatoire, ayant force de loi, mais bien plutôt d’ouvrir une porte et de permettre une forme d’accueil envers les personnes homosexuelles.
À la lecture de ces lignes, on constate à la fois la maturité des procédures décisionnelles protestantes et leurs assises démocratiques, deux composantes qu’il est souvent difficile de retrouver dans d’autres modèles religieux.
Pourtant, il reste deux questions.
La première est celle de l’absence de « regard extérieur ». Dans les deux débats, l’ÉPUB et l’ÉPUdF ont expressément demandé qu’aucune publicité ne soit faite avant la décision finale. L’argument principale, que nous retrouverons par la suite, semble avoir été celui de la sérénité des discussions qui ne devaient pas être « polluées » par des « interventions extérieures ». Cet argument laisse penser que les débats sur l’homosexualité et la manière dont celle-ci doit être accueillie ou non dans ces Églises n’est que de leur fait. Cela peut donner l’impression que ces Églises vivent en dehors du monde, en dehors de toute réalité sociétale, alors même, et c’est un paradoxe qu’il faut souligner, qu’elles en font parties.
La deuxième question, qui est le corolaire de la précédente, concerne l’absence de discours homosexuel ou plus simplement de prise de parole homosexuelle dans les débats. Il faut distinguer ici le fait que des homosexuel-le-s, en tant que protestant-e-s belges ou français-e-s, ont pu prendre part au débat (la question de savoir si ce fut d’abord en tant que protestant-e-s ou en tant qu’homosexuel-le-s ou les deux à la fois serait tout aussi intéressante à traiter) et le fait qu’un discours des homosexuel-le-s ait pu intervenir dans le débat. Là encore, il s’agissait d’une volonté, des plus hautes instances des deux Églises, de refuser toute participation « représentative » homosexuelle au débat. Non que ces voix « représentatives » n’existent pas (on peut citer ici le Carrefour des Chrétiens Inclusifs et David et Jonathan qui militent au croisement des chemins chrétien et homosexuel), mais parce qu’il a été nié à ces organisations le droit de représenter les homosexuel-le-s dans les débats de ces Églises. En substance, ce qui leur était « reproché » était à la fois leur position extérieure à l’institution et le risque que leur intervention crée un caractère polémique dans le débat. Enfin, l’accusation de « lobbying Gay » fut lancée.
On peut s’interroger sur ce choix de ne pas laisser de place aux voix homosexuelles dans des débats qui traitaient de l’homosexualité: aurait-on décidé de débattre de la place des jeunes ou des femmes dans ces Églises sans faire appel, à un moment ou à un autre, à des organisations « représentatives » de la jeunesse ou à des voix féminines et féministes?
La question du risque polémique est elle aussi entière: contrairement à ce que ces deux Églises ont voulu, la sérénité des débats n’a pas toujours été respectée, et les détracteurs de ces deux textes synodaux ne se sont pas privés de prendre la parole, parfois avec une grande violence qui s’est traduite par des discours et des propos qui, dans les sociétés belge et française, sont qualifiables d’homophobes. Certes, on peut saluer les prises de position courageuse de certaines instances dirigeantes, notamment en Belgique, qui ont d’une certaine manière recadrées les échanges. Mais ce fut au prix d’une absence de condamnation institutionnelle des propos homophobes, de sorte qu’il en est résulté l’impression que ces deux Églises, en refusant d’une part l’expression de voix homosexuelles et en laissant d’autre part une large place aux voix homophobes, auraient cautionné ces dernières en leur sein…
Il ressort de ces considérations que les principaux-ales intéressé-e-s n’ont pas été écouté-e-s. Il faut s’étonner de ce qu’un débat, qui devrait avoir des conséquences directes sur un groupe de personnes, ne fasse pas appel à elles pour ne serait-ce que comprendre leurs ressentis, leurs besoins et leurs attentes. Dans les raisons qui sont données de ce refus de parole (manque de représentativité, risque de polémique), on a le sentiment d’un arrière fond de paternalisme qui ne se laisse pas dire: nous allons prendre une décision qui vous concerne; vous n’avez rien à dire car nous savons mieux que vous ce qui est bon et juste; enfin vous êtes immatures au débat car vous allez créer de la polémique.
Des décisions en faveur des homosexuel-le-s?
L’incompréhension de ces processus de débat et de décision au sein de l’EPUB et de l’EPUdF repose peut-être dans cette question toute simple: et si ces deux textes n’étaient en fait pas destinés aux homosexuel-le-s?
A les relire de plus près, la réponse est (malheureusement et nous y reviendrons plus tard) positive. D’abord parce que ces textes, malgré le prétexte de l’homosexualité, ne parlait pas de cela. Les objets de ces deux textes ne concernent pas l’accueil des personnes homosexuelles, ou plutôt le concernent incidemment, presque par ricochet. En réalité, ils visent des questions plus larges: celle des bénédictions dans le texte français, celle des conditions d’accès au ministère pastoral pour le texte belge. Ensuite, parce que les destinataires de ces textes ne sont pas les homosexuel-le-s eux-mêmes: le texte du Synode français dans sa formulation s’adresse en priorité aux pasteur-e-s et accessoirement aux paroisses (voir notamment le paragraphe 5.2) dans leur appréciation de ces questions; le texte du Synode belge quant à lui est tourné vers les paroisses et accessoirement vers la Commission des Ministères de l’EPUB chargée des pré-recrutements des pasteur-e-s (voir la finale de la recommandation).
Dans les deux cas, les homosexuel-le-s ne sont pas sujet, ni objet de ces textes. Dans les deux cas, l’homosexualité n’est qu’un prétexte à une réflexion plus large au sein de ces deux Églises. Dans les deux cas, la question de l’accueil ou non des personnes homosexuelles n’a été qu’imparfaitement, voire pas du tout traitée.
Tout le hiatus de ces textes se situe là, aussi bien pour celles et ceux qui s’y opposent que pour celles et ceux qui les défendent: le débat d’origine n’a été abordé qu’indirectement et, contrairement à ce que pensent les autorités dirigeantes de ces deux Églises, il n’est pas clos. On peut certes y voir la volonté d’une sortie par le haute d’un sujet au combien sensible et terriblement conflictuel dans des Églises qui reposent sur une variété d’interprétation des textes bibliques. On peut comprendre la sagesse de sioux des différents niveaux de décision de ne pas vouloir entrer dans un débat qui risque d’apporter plus de discorde que de concorde. On peut saluer des textes consensuels qui permettent à chacun-e de se retrouver dans des décisions et des recommandations qui ne sont pas toujours évidentes à endosser. Enfin, on peut trouver satisfaisant de se contenter d’une appréciation à la carte, selon les personnes, les communautés ou les instances qui seront confrontées à ces situations. Il n’en reste pas moins que deux points n’ont pas du tout été traités: celui de l’homophobie en Église et celui de l’accueil des personnes homosexuelles.
Vers quel accueil des personnes LGBT?
Car c’est bien là toute la question qui est désormais sur la table: il ne s’agit pas ici seulement de bénir ou de consacrer, il s’agit aussi de trouver des réponses à des questions, des problématiques qui sont beaucoup plus larges et profondes qu’il n’y paraisse.
La consécration de pasteur-e-s homosexuel-le-s et la bénédiction de couples de même sexe est une avancée, ne le nions jamais. Mais est-ce prendre en compte la spécificité d’une réalité homosexuelle qui va bien au-delà de se marier ou de devenir pasteur-e? Nous parlons ici d’une population pour laquelle l’homosexualité n’est plus tragique: un mariage est un acte heureux qui suppose qu’un couple se construise dans un environnement affectueux et attentif, sous le regard bienveillant de Dieu; une vocation pastorale s’inscrit dans un processus de mise en vérité de soi et de rapport ouvert aux autres et à l’Autre.
N’y a-t-il pas des problèmes bien plus inquiétants et prégnants qui mériteraient l’attention de ces Églises? Devenir pasteur-e ou vivre en couple, sont-ce les seules nécessités, les seuls besoins, les seules « problèmes » des personnes homosexuelles?
Que fait-on par exemple de la difficile question de l’acceptation de l’homosexualité chez un jeune? Cette question est loin d’être rhétorique quand on sait que le suicide est la première cause de mortalité chez les jeunes homosexuel-le-s (selon un rapport du Sénat français en 2013, 30% des jeunes homosexuel-le-s de moins de 25 ans auraient tenté de se suicider). Ces deux Églises envisagent-elles, par exemple, une formation pastorale ou une procédure quelconque d’accompagnement envers ces jeunes, leurs familles et leurs communautés pour trouver des réponses adéquates? Comment ces deux Églises envisagent-elles d’aider leur corps pastoral respectif à affronter ce problème double, celui de l’acceptation de soi pour les jeunes, et celui de l’acceptation de l’autre par les familles et les communautés? Car ce sont à ces trois niveaux que se jouent le destin de jeunes hommes et de jeunes femmes, et aussi leurs relations avec leur foi et la religion. Et il en va bien évidemment de même des jeunes bi et transes, ainsi que de toute personne qui se trouve confrontée à la réalité de son orientation sexuelle ou de genre à n’importe quel âge de sa vie.
Que fait-on enfin des propos homophobes qui se sont tenus et qui continuent de se tenir en Église? Doit-on se taire, car il ne serait pas « pastoralement correct » de dire à une personne qu’elle est homophobe? Ou bien l’Église se doit-elle de rappeler, comme cela existe le reste des sociétés française et belge, qu’il n’est pas possible de s’abstraire des lois existantes?
En guise de conclusion
On le voit, le débat sur l’homosexualité dans ces deux Églises n’est pas clos. Peut-être parce qu’il n’a d’ailleurs jamais été abordé frontalement, ni peut-être jamais vraiment ouvert: dans les deux cas, cela ne fait pas loin de trente ans que se posent, à intervalles réguliers, des questions similaires, qui ne suivent pas seulement l’actualité des sociétés dans lesquelles elles vivent, mais relancent des discussions sur la place des personnes homosexuelles en leur sein. En tentant d’y répondre par une approche en biais, ces Églises démontrent certainement, en tant qu’institutions humaines, leur capacité à s’adapter, à se renouveler et à rassembler malgré tout en elle des tendances toujours plus antagonistes et conflictuelles. Malheureusement, elles ne répondent pas aux problématiques homosexuelles.
Ce commentaire et sa conclusion doivent amener les associations et les mouvements LGBT chrétiens à réfléchir sur leur place dans ces débats d’Église et, plus largement, sur leur positionnement face à celles-ci sur les questions homosexuelles. Dans un contexte où l’on sent une grande volonté d’ouverture envers les problématiques d’orientations sexuelles (celle relative aux orientations de genre restant encore à identifier), et en même temps un refus d' »interférences extérieures », les mouvements et associations LGBT chrétiennes n’ont qu’une marge de manœuvre réduite, en tout cas en Église, pour intervenir dans les débats. Ne serait-il pas dès lors plus pertinent d’effectuer un pas de côté: non pas en sortant définitivement des discussions, mais au contraire en essayant de décentrer celles-ci, ou plutôt de les faire revenir vers leur centre originel, à savoir l’accueil des personnes homosexuelles? Ne serait-il pas plus judicieux de prendre la parole sur ces sujets plutôt que d’attendre que celle-ci soit accordée? Ne serait-il pas plus efficace de créer des espaces de discussion et d’action en-dehors des Églises, plutôt que d’attendre de celles-ci une inclusivité qui tarde à venir?
Ces deux débats belge et français sont tout à la fois réjouissants, frustrants et libérateurs: réjouissants car ils ont montré des Églises capables de parler de sujets graves sur lesquels elles ont pris des positions d’ouverture; frustrants, car ils n’ont pas permis de faire entendre la voix des personnes directement concernée; libérateurs enfin, car ils montrent que tout reste encore à faire que ce soit dans, mais surtout en-dehors des Églises.
Tuilard
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