Publié le juin 12th, 2011 | par Carrefour des Chrétiens Inclusifs
0Prédication sur « Corps, foi et sexualité »
Deux textes : Cantiques 1/1-7 et Romains 16/1-16
Chères sœurs, chers frères,
Voilà deux exemples très différents de baisers dont nous parlent ces textes bibliques. Et au moins deux histoires de réception d’un texte. Dans le Cantique des Cantiques, la jeune amante noire de peau réclame avec passion des baisers à pleine bouche. En Romains, Paul énumère avec reconnaissance les servantes et les serviteurs du Christ et les encourage à se donner des baisers de paix. Qu’en avons-nous gardé dans nos Eglises ? Quelle réception avons-nous fait de ces textes ?
Pendant des siècles, le Cantique des Cantiques était comparé à un dialogue hautement spirituel entre un croyant privilégié, de préférence un clerc et son Dieu d’amour. Il était plus acceptable de penser, d’affirmer et de transmettre que des hommes consacrés généralement au célibat réclament des baisers sur la bouche ou que Dieu s’allonge sur leur poitrine que de considérer ce Cantique pour ce qu’il est : un poème sensuel et chaud, qui met mal à l’aise tout en émoustillant nos sens. Sans aucun doute, je vois la main de Dieu dans le fait qu’aucun religieux d’aucune confession du christianisme n’ait réussi à virer ce texte du canon. Merci Seigneur !
Le deuxième exemple de baiser nous entraîne vers d’autres débats. Tout d’abord, Paul rend hommage à Phoebé, une ministre, une servante du Christ, une diacre. Nous sommes d’accord, c’est une femme. Oui, mais… et c’est là que le texte perd de sa portée à cause d’une réception partiale. Oui, c’est une femme, mais c’est une servante (diakonos), alors ce n’est pas un pasteur – mais qui était pasteur à l’époque ? ou curé ?- donc c’est forcément une célibataire – ah bon ?- et donc nous allons inventer le terme diaconesse, qui est censé être le féminin de diacre, mais qui inclut nécessairement le célibat, consacré, et subordonné aux hommes. Ne vous méprenez pas : je ne dis pas que les diaconesses sont soumises aux pasteurs et célibataires de force. Au contraire, je pense que le célibat consacré peut être un appel de Dieu. Mais là, en l’occurrence, la polysémie de sens de ce passage de reconnaissance de Paul envers tous les serviteurs et servantes du Christ, sans discrimination de genre, d’origine, de statut social, avec l’injonction de s’embrasser fraternellement, hommes et femmes égaux, a été et reste encore étouffée par la majorité des Eglises.
Une amie et sœur, mennonite, mère de famille, m’a raconté avec des étoiles dans les yeux, que sa communauté, qui n’est pas encore prête au ministère pastoral féminin, l’a reconnue comme diacre. Chouette, je me dis, c’est bien de reconnaître que Dieu donne des charismes à tous et à toutes. « Et quelle est ta fonction ? », je lui demande. « Ah et bien diacre à la vie pratique et à la convivialité! J’organise le nettoyage de l’église, les buffets, les goûters. »
Arf. On continue à demander aux femmes de faire ce qu’elles ont toujours fait, mais on enrobe ça avec une appellation biblique. C’est comme les femmes-pasteurs de femmes ou pasteurs d’enfants. Ça existe.
J’observe que les tabous nous empêchent d’entendre la diversité et la sensualité dont parle naturellement la Bible. J’irais même plus loin : se baiser sur la bouche, est-ce nécessairement sexuel ? Les amish se baisent sur la bouche, et c’est un baiser fraternel. Les britanniques embrassent leurs enfants sur la bouche, tout comme les polonais… Sommes-nous un sexe ou une personne ?
Allons-nous arriver à ne plus nous définir par notre vie sexuelle ? Nous pourrions retourner la question à Dieu : qui as-tu dit que j’étais ?
Parfois, toute inclusive que je tends à être, je sature des questionnements autour de la sexualité biblique ou extra-biblique, en vrac : la vie sexuelle de Jésus ; les controverses, le Da Vinci Code ; le refus du ministère féminin basé sur la question du genre… Parfois je demande très directement à des pasteurs qui opposent à la bénédiction en Eglise de couples de même sexe la question des interdits sexuels, je leur demande : et les hétéros, vous leur demandez ce qu’ils font au plumard ? Vous leur demandez : vous faites l’amour comment ? Qui fait quoi et où? Généralement ils me regardent l’air affolé… « Non, bien sûr ! »
J’ai observé que généralement, en dehors des réseaux porno que je conspue, concernant le sexe, c’est ceux qui en parlent le plus qui en profitent le moins : les mères de famille aux ados ; les évêques aux laïcs ; les profs de SVT aux élèves ; les machos à leurs copains…
Revenons à l’histoire de la réception de ces textes.
Ce type de réception a verrouillé d’autres réceptions pendant trop longtemps. Et si Dieu nous lançait le défi de développer de nouvelles réceptions ? De laisser le Saint Esprit nous visiter là où nous sommes, en étant qui nous sommes, et d’offrir au monde ces nouvelles lectures, des lectures inclusives.
Pourtant, il faut reconnaître que je vois un obstacle de taille, en tout cas aux yeux du monde. Les LGBTI ? Une autre communauté, un groupe, une tribu bref des hommes, des femmes et des queers qui ont besoin d’une visibilité pour vivre. Ce groupe, auquel je me sens irrémédiablement lié, tend à devenir naturellement visible et donc naturellement jugé sur sa vie éthique et morale, examiné sans recul par ceux et celles du dehors, les non-homophobes et non-inclusifs, les tièdes de la diversité.
Qui sait et réalise les discriminations encore très récentes dont les non-hétéro ont souffert ? 1981 abrogation du fichier des personnes homo ; une vie sexuelle taxée de déviante depuis toujours, les rapports sexuels et amoureux qualifiés de vice, ma prof de français BCBG en 1995 qui ne se risquait pas à dire homosexuel et utilisait l’horrible vocable d’inverti…
Et pourtant, LGBTI et hétéro inclusifs, nous devons guérir ensemble de ces blessures récentes et relever le défi que nous lance Dieu : nous pouvons proposer d’autres réceptions de textes bibliques, assumer un regard positif sur la sexualité et la diversité, oser enfin composer le corps entier du Christ.
Pour cela, je propose de démystifier le sexe d’une part et de donner à la sexualité un statut plus noble et moins consumériste. Le sexe c’est bien, manger du chocolat aussi et sauter en parachute, bien que ce ne soit pas écolo, c’est le grand kiff. Il paraît que tout homme/femme en rêvant a une érection ; est-ce sexuel ou sensoriel ? Bref le sexe ne devrait pas masquer la vraie vocation à laquelle nous sommes appelés ; la prière, la fraternité, l’inclusivité pour que l’Eglise ne soit pas un lieu d’exclusion mais de partage. Le sexe ne doit pas faire dévier le débat, ni même l’alimenter ; le sexe a vocation à rester du domaine de l’intime, comme les lettres d’amour ou les recettes de famille. La sexualité est souvent exposée au rabais, dans les milieux gays, par exemple mais pas seulement. On appelle ça se libérer, se faire du bien, faire des expériences. Le monde ne retient (presque) que cela. Je pourrais parfois en hurler de rage. Pourtant, il est de notre responsabilité de ne pas rejeter cette réalité : trop souvent, la sexualité a été rabaissée, cachée, ignorée, alors qu’elle a sa place dans la Bible, dans nos prières, dans nos vies.
Le sexe, c’est intime. La sexualité ou la sensualité, c’est un des nombreux langages d’amour de la Bible. Parfois il s’agit juste d’une sensualité fraternelle : on se donne un baiser de paix, sans discriminations. Parfois, on s’embrasse à pleine bouche, et tout cela est béni de Dieu. Osons partager nos lectures et osons dénoncer des réceptions discriminatoires aussi bien que des usages consuméristes. L’inclusivité, une voie de réconciliation du corps et du cœur, les mains tendues vers le ciel.
Dieu a vu tout cela et il a trouvé cela bon.
A Dieu seul la Gloire.